Le village de l’artisanat équitable du bambou dans la province de Vientiane au Laos
À environ 75 km au nord de la ville de Vientiane se trouve le petit village du bambou, dont la population totale est d’environ 1600 personnes vivant dans 250 foyers. Le village n’est pas différent des centaines d’autres villages laotiens de la plaine de Vientiane avec ses groupes de maisons bien soignées en bois, la plupart construites sur pilotis et ombragées par des arbres fruitiers. Au-delà des maisons se trouvent les rizières, parfois séparées par des haies de bambou ou de broussailles.
Durant mon voyage au Laos en 2020, accompagnée de ma Maman, nous avons eu la chance d’aller visiter le village du bambou durant une belle journée de février. Nous étions invitées par madame Ake (de son vrai nom Bounmi), la responsable des tisseuses du village, une dame d’environ 50 ans au sourire chaleureux. Shui et Jit, deux fondatrices du groupement équitable avec lequel Frangipanier coopère depuis ses débuts en 2015, nous ont accompagnées.
À cette époque de l’année, les rizières autour du village sont sèches et en attente de l’arrivée de la saison des pluies pour les prochaines semences et récoltes. Pour la plupart des familles d’agriculteurs de la région, il y a peu de travail à faire dans les champs pendant cette période. Cependant, les temps d’arrêt dans les champs ne sont pas synonymes de temps libre pour les familles d’agriculteurs. Les hommes profitent souvent de cette saison pour obtenir des emplois à temps partiel dans la construction de routes et de maisons ou d’autres types de travaux, afin d’assurer un certain revenu à la famille. Les femmes, quant à elles, se concentrent sur la production d’objets artisanaux ou de produits alimentaires destinés à leur foyer ou à la vente sur les marchés. Pour les villageois, c’est la période de pointe pour la production de produits en bambou tissé.
Frangipanier propose des articles en bambou tissé provenant de ce village, et notre voyage avait pour but de revoir et rencontrer les artisans et villageois, en particulier les tisseuses et tisseurs de bambou. La visite permettait également de mieux comprendre le système de production du bambou tissé et de renforcer encore la coopération avec la communauté. La promotion de leurs produits artisanaux est un moyen important pour améliorer les revenus, principalement ceux des femmes.
À notre arrivée, madame Ake nous attendait sur le chemin de leur maison, son mari et son fils dans la cour. Un peu plus loin sur deux petites places du village, deux groupes d’une dizaine de personnes, principalement des femmes et quelques hommes, étaient assis en rond et réalisaient le tissage du bambou. Ils nous regardaient avec la timidité et la curiosité habituelles des villageois, les yeux brillants et heureux de nous montrer leur travail et de nous rencontrer. À en considérer les maisons et les rizières, le village n’est ni riche ni très pauvre. La plupart des ménages dépendent principalement de la riziculture et de l’élevage de petits animaux (poulets, canards, porcs) comme source de nourriture.
« Nous produisons assez de riz pour manger, mais nous n’avons pas beaucoup de surplus à vendre. Pour gagner de l’argent pour nos dépenses quotidiennes, nous dépendons du tissage de produits en bambou », nous apprend le mari de madame Ake. Il nous explique également que le village a une très longue tradition de tissage du bambou, tradition remontant à de nombreuses générations. Madame Ake nous dit : « Le bambou fait partie du village depuis aussi longtemps qu’il existe ». En effet, des forêts se trouvent à proximité et offrent un type spécial de bambou appelé Mai Phang. Sa qualité robuste et souple le rend particulièrement adapté au tissage fin.
« Tout le monde, homme, femme et enfants, sait comment tisser le bambou. Nous l’apprenons dès notre plus jeune âge », nous explique madame Ake. Le groupe de femmes qui est venu nous rencontrer sourit et acquiesce d’un signe de tête tout en poursuivant le tissage. Avec leurs doigts qui paraissent voler parmi les bandes de bambou flexibles, les femmes semblent faire sortir de leurs mains, comme par magie, des petits paniers de riz, des passoires, des plateaux et des nattes tissés de façon complexe.
Dans un autre coin, un groupe de jeunes femmes se sert de petits couteaux pour tailler et aplanir les bords bruts des pièces finies. Derrière la maison, quelques hommes sont en train de fendre le bambou en bandes étroites et de dépouiller la couche extérieure des tiges. D’une habilité incroyable, les bambous sont coupés pour enlever l’écorce, puis amincis en bandes de plus en plus étroites jusqu’à ce qu’elles atteignent la largeur souhaitée pour les différents types de tissage.
Assis sur sa petite chaise, monsieur Sene nous regarde avec un magnifique sourire, il est l’un des hommes les plus âgés du village. Il nous explique connaître et maîtriser tout le processus de fabrication des passoires en bambou. Toutefois, son âge ne lui permettant plus d’effectuer les travaux les plus pénibles, il s’occupe maintenant des finitions. Il est heureux et fier de nous montrer ses passoires et nous apprend qu’il peut en terminer 7 par jour.
« Le tissage du bambou n’est pas un travail très difficile, sauf lorsqu’il s’agit de couper le bambou des forêts. Les hommes s’occupent de la plupart des coupes, du transport jusqu’au village, et aussi de le fendre et le dépouiller. Les femmes réalisent le plus gros du tissage en utilisant la peau extérieure du bambou, plus douce. Les bandes intérieures, plus dures, sont utilisées pour fabriquer des clôtures ou sont tissées sous forme de grands paniers pour le stockage des céréales, les pièges à poissons et les cages pour les petits animaux », explique madame Ake.
Dans le passé, alors que le tissage du bambou était déjà une tradition, la plupart des produits confectionnés étaient destinés à un usage domestique et seule une petite quantité était vendue localement. Ce n’est qu’il y a environ 20 ans que les villageois ont commencé à produire des articles en bambou pour les vendre de façon durable et à plus large échelle.
« Un commerçant local ayant un point de vente de bambou au marché du matin de Vientiane est venu au village. Il nous a montré quelques photos de produits en bambou qu’il souhaitait acheter et nous a demandé si nous pouvions lui fabriquer des produits similaires », se souvient madame Ake. Elle et quelques autres femmes ont accepté d’essayer, mais ce n’était pas aussi facile qu’elles le pensaient. « Bien que nous savions comment tisser le bambou et que nous pouvions produire différents motifs tissés, les produits qui nous ont été montrés en photo étaient beaucoup plus fins que ce que nous avions l’habitude de faire. Nous avons étudié les images dans tous les sens et avons décidé que nous devions obtenir des échantillons réels afin d’apprendre à les fabriquer correctement. Quelques-unes d’entre nous ont mis en commun un peu d’argent et nous sommes allées à Vientiane pour acheter des échantillons ressemblant à ceux montrés sur les photos. Nous avons étudié les échantillons et les avons démêlés pour comprendre comment ils devaient être tissés ».
« Au début, ce que nous avons fait ne s’est pas très bien passé. Ils étaient trop rugueux et pas assez fins », explique une autre femme assise à proximité. « Nous avons essayé d’amincir encore plus le bambou et de lisser davantage les bords, et parfois nous avons coupé nos doigts », ajoute sa voisine. « Nous avons pu vendre certains produits, mais pas à un prix raisonnable et nous avons parfois perdu de l’argent. Cependant, nous avons continué à essayer et à mettre de l’argent de côté pour acheter des échantillons afin d’apprendre à les produire ».
Le travail acharné des tisseuses de bambou a finalement porté ses fruits. Leurs produits sont devenus plus populaires et elles ont maintenant des acheteurs à Vientiane, à Luang Prabang dans le nord du pays et même en Thaïlande. Maintenant, au travers du groupement équitable, les tisseuses du village peuvent également vendre leurs produits à l’international.
Le tissage du bambou est donc devenu la principale occupation de la saison sèche, hors récolte du riz, tant pour les hommes que pour les femmes. Actuellement, il assure la principale source d’argent des familles pour envoyer les enfants à l’école, payer les frais médicaux et autres dépenses courantes du ménage. La persévérance et la détermination de ces femmes et de ces hommes sont vraiment très impressionnantes, tout comme la qualité et la beauté de leurs objets en bambou.
Il y a un peu plus de dix ans, le tissage du bambou au village constituait encore une forme d’entreprise individuelle, la plupart des familles tissant et vendant les produits elles-mêmes par l’intermédiaire de marchands de passage ou d’amis vivant en ville. Madame Ake était parfois chargée de vendre les produits pour d’autres femmes lorsqu’elle se rendait à Vientiane. De même, lorsqu’elle recevait une grosse commande, elle la partageait avec les autres tisseuses et chacune d’entre elles n’était payée qu’une fois les objets vendus. À l’époque, de nombreuses femmes ne savaient pas comment calculer le coût réel du produit parce qu’elles n’incluaient pas leurs propres coûts de main-d’œuvre. De plus, de nombreuses tisseuses aspiraient à développer leur production mais n’avaient pas facilement accès aux crédits, si besoin.
Voilà donc 12 ans, la communauté équitable avec laquelle Frangipanier coopère au Laos a proposé d’aider les tisseuses et tisseurs de ce village en leur fournissant une formation en gestion de petite entreprise. Si nécessaire, des petits crédits ont été accordés pour la production de l’artisanat. Il leur a été demandé de s’organiser volontairement en groupes de 8 à 10 membres et de choisir leur chef de groupe.
En travaillant avec de nombreuses autres productrices villageoises, il a été constaté que la formation de groupes est un processus important qui leur permet de partager leurs expériences et de promouvoir un contrôle transparent des coûts, des prix et de la qualité. Les groupes doivent accepter de se réunir régulièrement et de verser une petite somme chaque mois pour créer un fonds afin de favoriser la confiance et la solidarité. Ce fonds peut être utilisé pour le bien-être du groupe ou à d’autres fins, telles que le paiement des frais de déplacement des membres pour participer à des foires commerciales ou pour rendre visite aux producteurs d’autres villages afin d’élargir leurs connaissances en matière de gammes de produits et de commercialisation.
Une partie intégrante de la formation du groupe consiste à s’assurer que les producteurs savent appliquer les principes du commerce équitable pour aider les tisseuses et tisseurs à fixer le prix de leurs produits de manière juste tout en assurant la qualité de ceux-ci.
Depuis lors, environ 50 femmes et hommes ont rejoint l’organisation du groupement équitable d’artisanat avec lequel Frangipanier coopère au Laos. Toutes et tous ont été formés à la planification d’entreprise simple, à la comptabilité, à la conception et au marketing et ils ont reçu, lorsque c’était nécessaire, des petits crédits pour les soutenir dans leur développement.
Au travers de l’organisation, les producteurs sont mis en relation avec les marchés nationaux et internationaux en vendant certains des produits en bambou du village au travers du groupement équitable.
En 12 ans, les conditions de vie de ces familles se sont nettement améliorées. Elles ont dorénavant accès à l’électricité, à l’eau courante, les enfants vont tous à l’école, ils ont accès aux soins médicaux et certains ont même pu rénover leur petite maison pour la rendre plus solide et durable.
Ces femmes et ces hommes témoignent aujourd’hui de l’importance que leur apporte leur coopération avec le groupement équitable. Leur travail est valorisé, ils vivent dignement de ce qu’ils produisent, ils sont soutenus et peuvent continuer à envisager l’avenir de leur village, de leurs traditions, de leur travail du bambou avec sérénité et confiance.
Ce fut une visite merveilleuse dans ce petit village du bambou… Un moment « hors du temps » durant lequel les paroles du cœur ont été plus fortes que tout… Des échanges d’émotions et de joie intenses qui montrent à quel point le commerce équitable va au plus profond du cœur de l’humain, de la nature et de la Vie !
Merci de tout Cœur à madame Ake, à sa famille, à tous les tisseuses et tisseurs de ce magnifique village pour leur accueil si chaleureux et leur grande générosité. Un grand merci à Shui et à Jit pour leur accompagnement et pour nous avoir traduit les paroles de chacun avec patience, à ma Maman pour le partage de ces instants magiques et remplis d’émotions.
Merci de tout Cœur pour ces instants merveilleux, magiques et intenses !
Par ici… vous avez la possibilité de visualiser le document crée sous forme de « livret-reportage » de la visite au village du bambou.
en cliquant sur une photo vous entrez dans la galerie des images…